« Les passagers pour le vol numéro 309 à destination de Florence sont appellés à se présenter immédiatement en porte d'embarquement 18 ! » fit cette voix douce et monogamme d'une femme visiblement agaçée par son travail.
Moi, Isobel Charleston, j'allais commencer à vous détailler ma vie. Enfin, ce qu'elle fut jusqu'ici. Je suppose que ça devra attendre ma présence dans l'avion et ma ceinture bouclée sous le regard bienveillant de ma super hôtesse de classe affaires.
« Désirez-vous boire quelque chose, Mademoiselle Charleston ? » faisait cette grande greluche blonde dans sa jupe boudin d'un bleu pastel. Gentiment, je lui répondis : « Juste une eau citronnée, s'il vous plait. » avant de reprendre mon récit. Où en étais-je ? Ah ! En vérité, je n'avais pas même commencé. La seule chose que j'ai donc dite, c'est que je me prénomme Isobel. May, aussi. J'ai 25 ans depuis quelques jours, une dizaine environ. Je tâche actuellement de ne plus trop me souvenir de quand j'ai pu avoir ces 25 ans, et vous comprendrez en temps et en heure pourquoi.
Je suis née il y a donc 25 années, dans la ville que je suis en train de quitter à ce moment même, à savoir New-York. La belle New-York. J'y ai à la fois passé mes plus beaux et mes plus mauvais moments, ce qui est sûr c'est que j'y ai toujours vécu. Mes parents étaient un couple on ne peut plus normal, sous tous les aspects : mise à part peut-être le fait qu'ils étaient richissimes. Mon père était, et il l'est toujours, dans les affaires, à travailler sans cesse à chaque coin du monde. Malgré cela, j'ai toujours adoré mon père, c'est un homme plein de bon sens et surtout bourré d'humour. Le genre de type qui n'avait sans doute rien à faire avec ma peau de vache de mère.
Quoi qu'il en soit ! Durant ma jolie petite enfance dans les beaux quartiers de Manhattan, à prendre des cours dans des écoles privées et à m'habiller dans les beaux rayons de Macy's, j'ai eu le bonheur d'avoir deux soeurs. Luana et Clyde ont toujours été mon principal trésor. Deux soeurs me ressemblant quasiment en tout points : et voila ce que je vais retrouver au bout de ce vol pour l'Italie. Mais ne nous égarons pas. Je n'ai jamais été une enfant difficile ; têtue je l'étais et je continue à l'être, mais j'étais plutôt docile avec les adultes, du genre à faire mes devoirs et à organiser des goûters dans Central Park pour mon anniversaire. Mes meilleures copines étaient filles de patron de banque ou de diplomate. Mais on s'amusait beaucoup, sans jamais être de mauvaises enfants. Adolescente, j'aimais les beach boys mais aussi Chopin, je lisais beaucoup, j'ai toujours adoré lire. Contrairement à mon entourage social qui ne pensait qu'en mercedes et parures de diamants pour leurs seize ans, je voulais une collection d'ouvrages médiévaux. Je ne sais comment vous dire : je n'avais pas l'impression d'être différente mais il faut dire que j'étais plutôt sérieuse. Et puis, il y a eu le divorce de mes parents, peu après mes 15 ans. Je n'étais pas vraiment affectée, je n'avais pour ainsi dire jamais vraiment eu d'atomes crochus avec ma mère. Malheureusement je devais vivre avec elle, et ce fut ce qui provoqua quelques changements chez moi. Mon père que j'aimais tant partait suite au divorce monter une entreprise hôtelière en Italie, un pays qu'il portait particulièrement dans son coeur. Trois années durant, j'ai donc vécu avec ma mère, regardant mes deux soeurs partir avec mon père en Italie. J'aurais du. Bien sûr que j'aurais du y aller. Mais j'avais déjà une place de choix dans la grande université d'Harvard, dans laquelle mon rêve était d'étudier. Je m'efforçai donc de passer le moins de temps possible avec ma mère dans notre immense appartement vide des gens que j'aimais. Dehors, avec mes amies lorsque que je fuyais ma vie, je découvris tout : la nuit new-yorkaise, l'alcool, la drogue aussi, les garçons. Je ne m'y sentais pas forcément très à l'aise mais on peut dire que je me suis amusée. Tout de même.
Mon diplôme en poche, je suis partie du jour au lendemain pour Harvard, habiter sur le campus et ne plus jamais revoir ma mère. J'avais décidé d'entreprendre des études de médecine : je croyais vouloir sauver des vies. Du moins en être capable. La médecine s'est très mal passée, j'avais découvert en moi une vue insupportable du sang. Je me dirigeai donc vers le droit, ce que je suis toujours. J'ai juste décidé de terminer mon cursus à Florence. Ma première année de droit à Harvard fut fabuleuse. J'avais des tas d'amis brillants et adorables, et puis j'ai rencontré... Je l'ai rencontré. Lui. Je ne le nommerai pas, je ne suis sans doute pas prête pour ça. Quoi qu'il en soit, à cette époque là j'aurais été prête à absolument n'importe quoi pour lui. J'étais folle amoureuse, en vérité nous étions amoureux tous les deux, du moins au début c'était réciproque. Mais il était brillant et manipuler les gens il savait très bien le faire. Voila comment, durant 4 années, il m'a menée par le bout du nez, de plus en plus chaque jour. Je vous avoue que je n'ai pas terriblement envie d'évoquer ce sujet, mais il le faut. Nous vivions ensemble il y a encore 15 jours. Une idée à lui, et ça faisait 2 ans. Je l'avais pardonné une nouvelle fois. Je n'aurais pas du, mais l'amour vous savez ce que c'est, n'est ce pas ? C'était le même manège, qui tournait sans cesse dans la même direction : j'étais folle amoureuse, il était indécis au point de m'abandonner, revenir, jouer avec moi, repartir, recommencer. Jusqu'au jour de mes 25 ans. Il y a une dizaine de jours. Il s'est sauvé. Appartement vide, pas de mot, pas d'adresse. Plus d'affaires. J'ai emballé mes affaires, rendu les clés au propriétaire et j'ai prit un billet d'avion pour Florence sans même regarder en arrière. Un mec comme ça ne le méritait pas. Je suis donc là, survolant l'océan Atlantique dans un confortable fauteuil en cuir, une eau citronnée devant moi. Trois raisons à mon départ s'opposent dans mon coeur, et la première est inavouable à mes soeurs : premièrement, j'ai le coeur brisé, deuxièmement, mes soeurs me manquent, et troisièmement, mon père et l'Italie me feront du bien. Je l'espère.